Time Fades Away

lundi 9 février 2009

La fièvre du samedi soir

Quelque chose a changé. Je suis pourtant au même endroit, comme je me mets toujours, un peu sur la gauche, devant. Mais ce n'est pas comme d'habitude: la disposition des instruments sur la scène, la batterie n'est plus au fond au centre mais sur le côté droit à découvert. Je ne reconnais plus les silhouettes. Deux viennent se mettre devant moi, là où d'habitude il n'y en a qu'une. Ils portent pourtant le costume noir, avec une fine et discrète rayure, très élégants. Les autres arrivent: le clavier est le même, le guitariste aussi, puis le chanteur, il a un peu changé lui aussi. Il a du mal a cacher des rondeurs, sa veste est trop petite, mal taillée, de piètre tenue, sur un jean. Plus de costard donc. Je n'ai rien contre mais il semble plus sorti d'un foyer de travailleurs sociaux qu'autre chose. De toute façon, il n'a jamais été un play-boy, et porter des costumes taillés sur mesure pour épater faisait partie du show à l'époque.


Quelque chose a changé, on le savait pourtant, la séparation, le divorce peut-on même parler, la moitié de la formation d'origine n'est plus là, trois personnes sur six, la moitié de l'effectif: la section rythmique, basse batterie, et le violoniste. Les Tindersticks ont publié fin avril un nouvel album avec cette nouvelle formule, regroupée autour de Stuart Staple, tête pensante, David Boulter, clavier et Neil Fraser, guitariste. Ce nouvel album The Hungry Saw qui a globalement été bien acceuilli, leur a permis de retrouver l'inspiration et donner une nouvelle fraîcheur à leurs compositions. C'est ce disque qu'ils sont en train de défendre. En poussant le soin de le jouer dans sa quasi intégralité et dans l'ordre, interludes compris, pour bien en souligner l'importance. Quelques morceaux plus anciens ressurgiront ça et là pour faire diversion.

Quelque chose a changé. Ca se passe là, sous mes yeux, dans mes oreilles, dans ma tête. Ces deux musiciens devant moi à la place de Dickon Hinchcliffe violoniste envolé. L'un des deux, petit, Terry Edwards, le trompettiste, invité régulier et fidèle depuis les tout débuts, se tient droit comme un i. L'autre, plus grand, alterne le barytone sax et le violoncelle. Il a le cheveux ras, le regard perçant, un jonc au poignet, des bagouzes à chaque doigts ou presque, et fait des oeillades, je ne sais pas bien à qui entre moi ou mon compagnon de virée. Mais le violoncelle, dans ses notes les plus aiguës, ne remplacera jamais le violon. Et revient le fantôme de la frêle silhouette de Dickon, contractée, courbée sur l'instrument, l'oreille attentive à chaque note qu'il en jouait et qui donnait toute sa signification, toute sa facture à leur musique, toute l'émotion. Je me rends à l'évidence que tout ça ne sera plus jamais là, face à la décontraction ambiante, allant de temps en temps jusqu'à la désinvolture, des nouveaux musiciens.


Les Tindersticks se sont probablement approchés de la perfection avec leurs trois premiers albums, trois doubles albums qui plus est, chose unique il me semble dans l'histoire de la pop. Ils avaient une idée et une exigence très précise. Ils s'y sont employés. Tout ça, cet état de grâce, ce miracle, ne peut être éternel. Voir ce soir le groupe prendre un nouveau départ a à la fois quelque chose de rassurant et d'inquiétant, sur les anciens morceaux notamment. Car non seulement ils doivent sacrifier une bonne partie de ceux aux arrangements de corde trop caractéristiques, mais il manque aussi l'essentiel, la flamme qui habitait leur musique: la tension qui montait à mesure que le morceau avançait, et qui donnait l'ivresse, la ferveur, le frisson, et grisait les sens. La nouvelle section rythmique joue plus lâche, donne malgré elle l'impression de traîner un peu la savate sur She's Gone, City Sickness, et j'ai entendu des versions plus enflammées de Say Goodbye To The City, qui garde néanmoins son dynamisme par sa rythmique répétitive et syncopée.

Quelque chose a changé, sur la fin. Stuart laisse échapper deux mots, il est lui même surpris d'avoir réussi à interpréter le set dans son intégralité parce, si on ne s'est aperçu de rien quand il chante, il est méchamment enroué. Retour en arrière pour les deux derniers morceaux du rappel, Her comme par miracle retrouve sa fièvre puis, les premières notes de xylophone, My Sister, que le groupe, appliqué comme jamais, poursuit ad libitum, et comme on aurait aimé que ça ne s'arrête jamais.

Ce qui a changé: quinze ans se sont écoulés entre ce soir et la première fois que je les ai vus, la tournée du premier album. Quinze ans...


Tindersticks, Le Krakatoa, Mérignac, le 7 février 2009

4 commentaires:

KMS a dit…

Rhaaaaa le tour cd qui a l'air tout beau avec son livret (et le 45t !!!).
Rien que pour ça ça valait le coup d'aller les voir. J'aurais peut être dû...

Solitary Man a dit…

Tu peux le trouver sur eBay mais à un prix un peu exagéré.
Sinon, contacte moi, on peut toujours s'arranger :))

Plouf a dit…

Euh non, je ne crois pas que les oeillades m'étaient destinées.
Tiens en partant, j'ai vu Staples sortir du Krakatao avec femme et enfants. C'est vrai que la chemise de bûcheron ça allait mieux aux gens de Calexico (on en a pas parlé après le concert, mais je me suis fait les mêmes réflections que toi sur ses rondeurs et sa tenue)

Solitary Man a dit…

Moi jte dis qu't'avais un ticket;))
Oui il était habillé comme un sac, mais ce laissé-aller n'est pas nouveau, et je l'ai déjà vu avec une chemise ouverte sur un marcel, la moustache à la José Bové, c'était à la période de l'enregistrement de Waiting For The Moon.
Mince j'aurai bien aimé rencontrer sa femme... C'est elle qui a fait les dessins du disque que KMS a pas...