Time Fades Away

mercredi 17 septembre 2008

Rentrée littéraire - III

Olivier ne tenait pas particulièrement à ce qu'il venait d'exprimer tout à l'heure. Il avait cédé au besoin de briller, de citer, comme négligemment, une phrase qu'il estimait de nature à épater son ami. Si maintenant celui-ci le prenait sur ce ton, il ne lui restait plus qu'à battre en retraite. Sa faiblesse venait de ceci qu'il avait beaucoup plus besoin de l'affection de Bernard, que celui-ci n'avait besoin de la sienne. La déclaration de Bernard l'humiliait, le mortifiait. Il s'en voulait d'avoir parlé trop vite. A présent, il était trop tard pour se reprendre, emboîter le pas, comme il eût fait certainement s'il avait laissé Bernard parler le premier. (...)
Sourire, il n'en avait vraiment plus envie, il avait honte. Et ne pouvant ni se rétracter, ni s'élever contre Bernard dont l'authentique émotion lui imposait, il ne recherchait plus qu'à se protéger, qu'à se soustraire:
"(...) Ce n'est pas contre moi que tu le disais... J'aime mieux ça."
Il s'exprimait comme quelqu'un de vexé, et pas du tout sur le ton qu'il eût voulu.
"Mais c'est à toi que je le dis maintenant", reprit Bernard.
Cette phrase cingla Olivier droit au coeur. Bernard ne l'avait sans doute pas dite dans une intention hostile mais comment la prendre autrement? Olivier se tut. Un gouffre, entre Bernard et lui se creusait. Il chercha quelles questions, d'un bord à l'autre de ce gouffre, il allait pouvoir jeter, qui rétablirait le contact. Il cherchait sans espoir. "Ne comprend-il donc pas ma détresse?" se disait-il; et sa détresse s'aggravait. Il n'eût peut-être pas à refouler de larmes, mais il se disait qu'il y avait de quoi pleurer. C'est sa faute aussi: ce revoir lui paraîtrait moins triste, s'il s'en était promis moins de joie.

André Gide - Les Faux-monnayeurs - 1925

A vrai dire, je ne me rappelle plus très bien l'histoire de ce livre que j'ai lu il y a une petite quinzaine d'années et qui m'avait laissé un forte impression. Ce passage, cette dernière phrase en particulier, que je n'ai pas mis bien longtemps à retrouver en feuilletant un exemplaire sur lequel je viens de mettre la main.

Jeune Belgique III est paru ce mois-ci. Vous pouvez le trouver ici, ici, ou bien encore . L'amour sous toutes ses formes, dans tous ces états, des rencontres improbables, des montages photos...

Suite des albums de l'été: Rook Shearwater.

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